Les engagés de l'île de la Réunion

Pré-Histoire et Histoire

L'engagisme est tout d'abord une forme de servage, qui va évoluer et servir à peupler les lointaines contrées françaises. Puis, au 19e siècle, il va exclusivement s'appliquer aux esclaves affranchis et aux immigrés d'afrique, des mascareignes et de l'asie.
Cette dernière phase, qui concerne La Réunion, va être expérimentée une vingtaine d'années avant l'abolition de l'esclavage. Le vent tourne pour l'esclavage, les colons le savent, ils préparent le terrain pour l'après. Imaginez la cohabitation d'esclaves et de travailleurs sous contrat, pour le même travail et sur les mêmes exploitations !
Dès le 20 décembre 1848, le système va être massivement utilisé en répliquant la logistique bien rodée appliquée sur les routes de l'esclavage. Les conflits géopolitiques avec les britanniques vont plusieurs fois provoquer l'arrêt du flux migratoire de l'Inde vers Bourbon. Pour compenser, l'île se tourne, comme à chaque fois, vers l'Afrique, Madagascar, les Comores et la Chine pour satisfaire son féroce appétit de main-d'œuvre.
Le système perdurera jusqu'au début du 20e siècle avec des Rodriguais arrivés en 1933… qui demanderont tous leur rapatriement à cause de ce système qui ne les respecte pas.
Malgré leur contrat en poche, ces engagés transportés loin de chez eux, auront des contraintes légales importantes, l'impossibilité d'évoluer et des droits en trompe l'œil : l'engagement ne peut être arrêté en cours, la dette organisée oblige à rempiler, porter plainte contre son engagiste nécessite de quitter la plantation… avec son autorisation !
Ils vont subir la gestion de colons restés à l'âge de l'esclavagisme. Les engagistes vont obtenir des bras corvéables à moindre frais, mais par leur comportement répréhensible, ils vont provoquer le dysfonctionnement et la fin de ce système qu'ils plébiscitent pourtant.
Trompés sur ce qui les attend, forcés à embarquer pour certains, sans réelle possibilité de fonder une famille, les engagés vont rapidement mourir épuisés par le travail ou se suicider. Malgré le droit au rapatriement, peu vont pouvoir en profiter, coincés sur l'île par les pièges d'un contrat qui va les broyer.


1 - INTRODUCTION

Venant nombreux de l'inde, des femmes, des travailleurs, des esclaves, puis de nouveau des travailleurs appelés les engagés vont être à la base de la composante indienne des Indo-Réunionnais.
Les esclaves sont contraints, mais quelles peuvent être les motivations des travailleurs libres ?
Crises dans certains secteurs économiques et très rarement le désir de partir (quitter une terre sacrée n'est pas aisé).
Pression des circonstances locales comme le crime, l'adultère ou la disgrâce.
Désastres naturels provoquant de mauvaises récoltes et des famines.
Dégradation de l'économie locale et surpopulation.
Mais ils sont aussi recrutés parfois contre leur gré (mensonge, enlèvement).
Drainés vers les comptoirs indiens français puis anglais ils signent un contrat et embarquent dans de mauvaises conditions vers la Réunion, mais aussi jusqu'aux colonies Antillaises !
Arrivés à bon port, ils sont mis en quarantaine dans la rade de Saint-Denis ou débarquent pour être mis dans des centres spécialisés, les Lazarets, puis sont affectés à un emploi et à un lieu. Ils sont en fait liés à un maître qui va reproduire les conditions de l'esclavage et les user sans trop d'espoir d'enrichissement ni de retour au pays.


2-1 - LES DÉCOUVERTES À RÉPÉTITION

La Réunion, îles Créoles, Archipel des Mascareignes, Océan Indien.
Des musulmans indiens sont-ils les premiers à avoir découvert l'île de la Réunion ? En tout cas, elle apparaît entre les Xe et XIIe siècles sur les cartes arabes sous le nom de Dina Morgabim (l'île de l'ouest). Le secret restera bien gardé jusque vers 1505-1512 où les Portugais la redécouvrent, pense-t-on, le jour de la Sainte Apolline (un 9 février) et la baptise Ilha Santa Apollonia.
Un navigateur portugais, Pedro Mascarenhas, prenant possession des îles de la région (Réunion, Maurice et Rodrigues) en 1512 va leur donner son nom, les Mascareignes, et une erreur attribuera Mascareignas à l'île. Les Portugais vont délaisser cette zone au profit de l'Inde.
L'île va être redécouverte et rebaptisée à répétition. Par exemple Pearl Island par on ne sait qui, puis England's Forest par les Anglais en 1613. Les Français lors de leur premier débarquement en resteront à Mascarin en 1638 pour finalement au bout de leur troisième prise de possession l'appeler Bourbon.
La Révolution va relancer le petit jeu des baptêmes, La Réunion en 1793 lui sera préférée à Jemmapes nom d'une victoire militaire. Mais Napoléon passera par là (au sens figuré) et donnera son Bonaparte comme nom à l'île en 1806.
Les Anglais conquérants les Mascareignes en 1810 vont revenir au très british Isle of Bourbon qui restera île Bourbon une fois cette terre rendue aux Français cinq ans plus tard.
Le dernier roi de France renversé avec un arrière-goût de révolution va voir revenir le nom de La Réunion sur le devant de la scène. La départementalisation en 1946 n'y changera rien.


2-2 - LES BASES DU PEUPLEMENT

Après le passage de Christophe Colomb, les Amérindiens sont transformés en esclaves. Cet esclavage sera aboli en 1530. Pour contourner l'interdit, les Castillans vont alors se tourner vers l'Afrique qui va devenir la pourvoyeuse insensée d'un vaste trafic humain qui va faire tache non loin de là dans l'océan Indien.
À l'origine inhabitée, les débuts du peuplement de la Réunion auront lieu entre 1502 et 1690 où elle sert d'escale vers l'Inde. Un peuplement définitif de quelques Français et Malgaches va succéder à de nombreuses installations provisoires.
L'esclavage va s'imposer comme force de travail entre 1690 et 1848. Servile ou non, la main d'œuvre vient de Madagascar et de l'Afrique puis de l'Inde et de la Chine. Suite à son abolition le recours à une main d'œuvre contractuelle ou libre étrangère entre 1848 et 1946 va contribuer au peuplement multi culturel de l'île.


2-3 - CONTEXTE PRÉCÉDANT L'ARRIVÉE DES ENGAGÉS

1667 voit la création de la première église et du premier registre d'état civil.
Cinq ans plus tard en 1672 ce sont 15 prisonniers indiens de San-Thomé, près de Madras, qui sont expédiés à Bourbon. Ce seront les premiers Indiens à s'installer.
En 1674 la population est composée de 62 Français, 43 Malgaches, 15 Indiens et 8 enfants métis pour environ 70% d'hommes et 30% de femmes.
Deux fillettes indo-portugaises débarquent de Daman en 1678.
À partir de 1697 la traite des Noirs va être organisée et devenir officielle.
Les Indiens nés en Inde de parents libres sont quant à eux peu nombreux, arrivés par hasard dès la fin du XVIIe siècle.
Jusque-là, la Compagnie des Indes est seule propriétaire d'une l'île peu exploitée et s'en désintéresse jusqu'à l'exploitation du café. Dès le début du XVIIIe siècle, le riz supplante le blé. C'est donc entre 1716 et 1767 que le café Moka devient moteur économique avec le café indigène. Ailleurs aux Antilles la canne à sucre est cultivée depuis longtemps déjà.
En 1738 Saint-Denis devient la capitale de l'île et hérite d'un port.
La culture du café nécessite de la main-d'oeuvre. Elle sera servile et viendra de Madagascar. La prédominance numérique des Noirs sur les Colons (malgré l'arrivée de nouveaux) va devenir effective. La traite est surtout faite par la Compagnie des Indes, recrutant les esclaves à Madagascar (à partir de 1717) et au Mozambique (à partir de 1733) qu'elle revend aux propriétaires. Elle s'intéresse aussi, mais moins, à la côte occidentale africaine (côte de Guinée) et à l'Inde. D'effroyables pertes en vie humaine surviennent sur les convois du Mozambique, de la Guinée et du Sénégal. La traite en Inde est antérieure à la culture du café et totalement inorganisée.
Un nombre minime d'affranchis forme le groupe des Libres de couleur qui côtoie le groupe des esclaves et le groupe des Blancs. Vers 1720 la supériorité numérique des esclaves sur les Blancs est effective. À tel point qu'à la fin du XVIIIe siècle les Noirs représentent 80% de la population totale. Mais malgré tout, selon le Code noir, l'esclave est un meuble.
Malgaches et Africains sont affectés aux travaux des champs. Les Créoles aux travaux domestiques.
90% des marrons (déserteurs) étaient malgaches. Peu d'Indiens et d'Africains ou de Noirs créoles pratiquaient le marronnage.
En 1714 ce sont trois églises paroissiales (Saint-Denis, Saint-Paul et Sainte-Suzanne), et deux presbytères (Saint Pierre et Sainte Marie) qui rythment la vie religieuse. Faute de pratiquants, la situation n'évoluera pas pendant 20 ans. En 1767 il y a 26 bâtiments ecclésiastiques répartis sur 8 paroisses.
En matière d'éducation c'est l'analphabétisme, le désoeuvrement et l'inculture qui règnent. Seule l'élite venant de l'île Maurice (île de France), des Indes, et du Portugal peut accéder à l'internat puis l'externat à partir de 1756.
La christianisation des Noirs est entravée par les colons du fait de leur propre comportement peu recommandable et de lois contraignantes.
Le créole va émerger comme moyen de communication interethnique vers 1721.
Les unions entre Blancs et noirs sont interdites après l'apparition de la société esclavagiste.
1765 : faillite et liquidation de la Compagnie des Indes des Îles de France et de Bourbon. Bourbon et l'île de France sont rattachés à la couronne royale.
Suite à la disparition de la protection de la Compagnie des Indes, à l'éloignement des lieux de consommation, à la concurrence du café antillais et aux mauvaises conditions de récolte, le café est "délaissé" au profit des cultures vivrières qui faisaient défaut.
Jusqu'en 1768 il y a 5 quartiers : Saint-Denis, Saint-Paul, Saint-Pierre, Sainte-Suzanne et Saint Benoît. En 1768 créations de ceux de Sainte-Marie, Saint-André et Saint-Louis. En 1777 ceux de Saint-Leu et Saint-Joseph.
L'intérêt pour les épices grandi ainsi que pour le coton. À partir de 1776, le cacao fait son apparition.
L'économie atteint un certain équilibre et la subsistance de la population est assurée grâce aux cultures vivrières.
Blé, riz, maïs et grains permettent même d'assurer la subsistance de l'île de France voisine, qui elle, s'intéresse déjà à la canne à sucre.
1792 : Épidémie de variole, Bourbon au bord de la famine, isolée pendant plusieurs mois. La Révolution tarde à montrer ses effets.
1789 : des voix s'élèvent contre le maintien de l'esclavage.
27/07/1793 : interdiction de la traite.
04/02/1794 : interdiction de l'esclavage.
Par peur de la ruine des colonies, les décrets ne sont pas appliqués par les îles et leurs colons qui chassent les 2 commissaires de la République et la troupe accompagnatrice, venus faire appliquer la loi.
La guerre contre l'Angleterre et les problèmes dans la marine vont leur donner un répit.
En l'an III de la République, la départementalisation est en discussion, mais rencontre aussi de la résistance.
Des velléités d'indépendance planent sur l'île.
1802 : Bonaparte rétabli l'esclavage et l'administration de l'île se fait toujours à partir de l'île de France.
Une succession de cyclones, pluies et sécheresse, débutent le 21/02/1806 (Cyclone), puis en mars 1806 (cyclone). Du 12/12/1806 au 06/02/1807, des pluies incessantes.
Tout fût déraciné et emporté par les eaux : cultures vivrières, caféiers, le sol lui-même. Puis la sécheresse, puis encore cyclone
Le calme revient en mars 1807 laissant place à la famine.
Ne sachant que faire, les colons se tournent vers la canne à sucre qui servait surtout à produire de l'arak limité aux besoins familiaux.
Le café subit alors un coup d'arrêt, les épices et la polyculture vivrière seront maintenues.
1809 : Les Anglais s'emparent de Rodrigues.
07/1810 : Ils débarquent à Bonaparte
12/1810 : Ils s'emparent de l'île de France qui devient l'île Maurice. L'île Bonaparte retrouve son nom de Bourbon.
La Compagnie anglaise des Indes prend le relais comme modèle économique, et les responsables anglais adoptent une attitude conciliante.
Quelques révoltes d'esclaves avortées sous administration anglaise lui donneront pourtant une mauvaise image.
Le bord de la mer et le sommet des montagnes étaient les bornes des propriétés ce qui provoquait de nombreux conflits et posait des problèmes de morcellement lors des héritages. Facteur non négligeable dans les problèmes de l'île, cela va provoquer la prolétarisation de certains Blancs, qui exclus, rejoignent les Noirs marrons dans les Hauts.
Les colons ont fait appel aux corsaires pour aller chercher de nouveaux esclaves.
De la fin de la période révolutionnaire aux 20 premières années du XIXe siècle l'exercice du culte catholique régresse faute de missionnaires.
La faible représentation de la religion officielle dans un pays où les habitants sont issus de sphères religieuses non chrétiennes a permis à d'autres cultes, dont l'exercice est prohibé par la loi, de se maintenir.
Le soir les Noirs s'expriment avec les danses et musiques de leur pays d'origine. La nuit permet de préserver la mémoire collective.
Le Séga naîtra certainement d'influences africaines. Tchéga ou Tschiéga, d'origine Mozambiquienne donneront Séga. En Swahili "Séga" signifie relever, retrousser un vêtement, ce que fait la danseuse de Séga avec ses jupes (seconde moitié du XVIIIe).
La danse raconterait une histoire d'amour (coup de foudre, de séduction, flirt, union). Au fil du temps ce Séga primitif (on le nomme Maloya) va évoluer.
Le traité de Paris (1814) entre France et Angleterre rend Bourbon et l'ensemble des possessions françaises de l'océan Indien. Mais la France perd Saint-Domingue et sa production de sucre au moment où la consommation de celui-ci augmente en métropole. La production betteravière n'en est qu'aux balbutiements.
À partir de 1815, le développement de la canne à sucre va se répandre et l'introduction de machines à vapeur aussi, marquant la première phase de l'industrie sucrière jusqu'en 1830.
Dès lors, il y a stagnation à cause de l'abandon des petits propriétaires suite à la chute des prix (arrivée du sucre de betterave) et au passage d'un cyclone (1830). Le sucre n'est pas encore un élément déterminant de l'économie coloniale.
L'avènement des gros propriétaires va provoquer un mouvement de concentration des terres se poursuivant jusqu'à la fin du XIXe ce qui caractérisera la deuxième phase.
Le sud de l'île garde une vocation agricole vivrière (en 1827) ainsi que les petits propriétaires.
À partir de 1850 la canne à sucre domine le reste (le café en second). La culture de la canne développe le commerce qui augmente avec le passage des bateaux français sur la route des Indes. Bourbon est maintenant en position géographique privilégiée.
Entre 1818 et 1836, le commerce du sucre est multiplié par 32 avec la métropole, le café produit 11 tonnes de plus seulement et le coton disparaît.

Les faiblesses de l'activité commerciale :

  • inexistence d'équipements portuaires,
  • système monétaire affaibli par un manque de numéraire, dû à certains colons qui accumulent et dépensent hors de l'île ou transfèrent l'argent en métropole, ainsi qu'une trop forte émission de titres de crédit.
La canne à sucre, grande consommatrice de main-d'oeuvre, est appelée à devenir la culture principale de Bourbon au moment où une ordonnance supprime la traite des esclaves de l'île.
Les colons se tournent alors vers la traite illégale et l'engagement. 45000 esclaves issus de la traite illégale arriveront de 1817 à 1848.


3 - LA PREMIÈRE VAGUE

Vers 1829, malgré la traite illégale, le besoin de main-d'oeuvre persiste. Les colons adoptent l'engagement autorisé officiellement qui concerne surtout les Indiens.
Censée être volontaire et contractuelle, cette immigration se révèle rapidement forcée et s'apparente à la traite des esclaves.
Les recruteurs furent de véritables exportateurs d'êtres humains, avec l'objectif du plus grand profit possible. Le système fût faussé dès le départ malgré des arrêtés protecteurs en faveur des Indiens : salaire, entretien et coût du retour à la charge de l'employeur.
Les colons font difficilement la distinction entre esclaves et engagés. Les salaires pourtant modestes ne sont pas versés. Les conditions de vie et de travail non respectés.
Lassés par les abus, de nombreux Indiens désertent et commencent une vie vagabonde. Malgré la création d'une pseudo organisation syndicale, qui sera dissoute peu après, les Indiens seront peu influents.
Cette première formule de l'engagement et un échec, plus de la moitié des engagés arrivés entre 1829 et 1832 sont repartis au bout de 2 ans seulement. Leur nombre va alors décroître.
En 1830 ils sont 3102, en 1834 ils sont 884.
Le gouvernement de Pondichéry met un terme à cette immigration en 1839 par une interdiction.
Les colons se tournent, en 1843, vers la Chine pour l'engagement d'un millier de Chinois. Pour les mêmes raisons, ce sera un échec qui se termine en 1846.
La pénurie de main-d'oeuvre se caractérise par des terres laissées en friche, des propriétaires aux abois, des petits Blancs et des affranchis en situation précaire refusant de faire le même travail que les esclaves.
Les relations entre groupes de travailleurs étrangers ne sont pas idylliques et chacun est affecté à une tâche en fonction de son origine.
Les Africains (Cafres) et les Malgaches : esclaves du sucre, travaux des champs et main-d'oeuvre dans les usines.
Les nés dans l'île : esclaves domestiques ou artisans.
Les Créoles : commandeurs dans les champs ou les usines
Les esclaves nés dans l'île n'ont aucune relation avec les autres.
Les Malais et les Indiens considèrent les Cafres et les Malgaches comme des êtres inférieurs.
1817 : abolition de la traite.
1831-1833 : politique d'affranchissement du gouvernement Louis-Philippe.
1833 : émancipation des esclaves dans les colonies anglaises.
1839 : bref du Pape Grégoire XVI dénonçant les négriers et les esclavagistes.
24/04/1833 : mêmes droits aux hommes libres de couleur qu'aux Blancs.
Les colons vont résister et faire fi des recommandations sur les conditions de vie de la population servile jusqu'à l'abolition effective le 20/12/1848.
60000 esclaves deviennent des hommes libres et retournent au travail le lendemain avec un contrat de travail d'une durée minimum de 1 an et maximum de 2 ans.
[Cet évènement ne sera officiellement fêté qu'à partir de 1982, le 20 décembre devenant jour férié.]
La canne à sucre oriente l'agriculture vers une monoculture.
La concentration des terres fertiles du littoral étale les propriétés dans le sens de la largeur, au détriment des petits et moyens propriétaires qui vendent leurs terres (le départ des esclaves s'ajoute aux difficultés précédentes).
Deux grands propriétaires sont influents économiquement et politiquement : Kerveguen (K/Veguen) et le Crédit Foncier Colonial.
De 1850 à 1862, le défrichement de 15000 hectares participe à l'extension des domaines.
En 1852 la canne à sucre représente moins de 40 % de la surface cultivée. En 1862 elle représente 63%.
La Réunion devient une île riche, richesse détenue par une minorité et qui ne va durer qu'une décennie (1852-1862).
La canne à sucre atteint 80% à 90% de la part des recettes.
La Réunion remporte 51 médailles ou mentions à l'Exposition Universelle de 1856 en récompense de son labeur.
De nouvelles routes sont construites, un port à St Pierre et un train à travers la montagne de St Denis arriveront bientôt.
Mais les disparités des ressources et du pouvoir vont aggraver la situation.
À partir de 1850 l'île est dans une dépendance alimentaire totale, ce qui se répercute sur la balance commerciale qui subit un déficit croissant avec l'augmentation de la population.
L'économie sucrière est dépendante des cours internationaux qu'elle ne maîtrise pas et qui fluctuent.
À partir de 1860 l'économie réunionnaise ne pourra pas affronter les difficultés internes et externes qui vont survenir :
Internes :
mars 1859 : épidémie de choléra (la main d'oeuvre est touchée, 1,4% de la population en est victime, soit 2500 personnes)
1863 : 3 cyclones (récoltes détruites)
1865 : le paludisme devient endémique jusqu'à la départementalisation.
1862 : le borer ou foreur, insecte nuisible apparu en 1857, atteint toutes les plantations.
Externes :
Concurrence de la betterave sur le marché français.
Concurrence de la canne à sucre de Cuba sur les autres marchés.
Toutes ces difficultés amènent une baisse de la production de sucre qui entraîne à son tour une crise économique générale.
Pour sortir de ce marasme, on essaie d'élargir l'horizon économique : autres cultures (vanille, plantes à parfum tel l'ylang-ylang).
L'ouverture du canal de Suez en 1869 va faire perdre à la Réunion sa place privilégiée sur la route des Indes.
[Seuls le transport pétrolier et les gros tonnages lui redonneront sa position stratégique.]
Mais cette crise ne dissuade pas les propriétaires de recruter de la main-d'œuvre en Inde et en Afrique, en remplacement des affranchis, qui après leurs obligations (1 à 2 ans), désertent les plantations à partir de 1851, ou même, avant la fin de leur contrat.
Et cela, malgré une existence difficile qui les attend.
Sans tenir compte de l'échec précédent de l'engagement indien (1829), les grands propriétaires plaident en sa faveur.


4 - LA SECONDE VAGUE ET L'INTÉGRATION

Entre 1848 et 1852, l'immigration des Indiens est l'affaire des particuliers et alimente un véritable marché.
Des négociants recruteurs en Inde contrôlent, en véritables spéculateurs, le prix de cession.
165 francs en 1848, 300 à 400 francs à partir de 1850 atteignant le prix d'un esclave pendant la traite légale.
En 1853 la Compagnie agricole d'immigration est créée pour réguler ce marché. Mais le nombre d'engagés recruté baisse et le prix reste trop élevé pour les petits propriétaires.
Le monopole de la Compagnie agricole d'immigration est supprimé pour laisser le recrutement libre, mais le niveau voulu n'est pas atteint.
Environ 38000 engagés indiens seront introduits en 12 ans (1848-1860), recrutés pour la plupart dans les comptoirs français et originaires du sud de l'Inde.
Des engagés africains débarquent aussi dans des conditions rappelant la traite.
Début 1859 l'interdiction du recrutement sur la côte orientale de l'Afrique, à Madagascar, Mayotte et Nossi-Bé va accélérer les choses.
1860-1861, signature des conventions franco-anglaises qui permettent de recruter et d'engager des travailleurs Indiens appartenant à la Grande-Bretagne et d'embarquer ces sujets de Sa Majesté Britannique à partir des ports britanniques ou français de l'Inde.
Dès 1861 le nombre d'engagés augmente, plus de 6000 Indiens débarquent dans l'île.
Beaucoup ne veulent voir qu'une crise passagère, le mouvement migratoire se poursuit donc jusqu'en 1882 quand les Anglais interdisent de nouveau le recrutement en raison d'entorses aux conventions signées. Le flux ne s'arrêtera véritablement qu'en 1885.
Les contrats ne pouvaient excéder 5 ans avec rapatriement ou réengagement.
Dans chaque contingent le nombre de femmes doit être proportionnel à celui des hommes.
Beaucoup d'engagés repartent, mais il y a un nombre non négligeable de renouvellements.
À partir de 1882 les propriétaires entravent les retours.
L'engagement se tourne vers d'autres régions : Mozambique, Chine, Comores, Somalie, Yémen, Rodrigues, et cela jusqu'au début du 20ème siècle en décroissant.
Le nombre cumulé des engagés indien et africain, débarqués entre 1848 et 1859, est supérieur au nombre d'esclaves libérés en 1848 soit 64525 contre 62151. Sans compter quelques centaines de Chinois.
En 1882 on estime à environ 40000 le nombre d'engagés présents à la Réunion.
L'engagement aura parfaitement pris le relai de l'esclavage en quantité et en qualité.
Hélas ! Les conditions de travail et de vie font apparaître de grandes similitudes.
1849 : création de syndics pour protéger et aider les engagés.
1852 : décret décrivant les conditions et mesures détaillées.
Mais rien n'y fait, les colons seront souvent plus durs en exploitant au maximum l'engagé sur la durée de son contrat (5 ans).
En 1848, 4600 Indiens sont dans l'île, souvent en tant que petits cultivateurs ou artisans.

Les engagés trouveront les mêmes conditions de vie que les esclaves :

  • logements insalubres et exigus,
  • carences alimentaires,
  • pauvreté de l'habillement.

Mais aussi les mêmes conditions de travail :

  • horaires réglementaires dépassés,
  • rythme élevé,
  • discipline bafouant les textes.
    Il semble que ces conditions étaient meilleures que celles en Inde du Sud d'où ils venaient (Yanaon, Karikal, Mahé, Pondichéry et Madras).

Mais les abus auront raison d'eux :

  • violence et révolte,
  • désertion et vagabondage,
  • suicide,
  • non renouvellement du contrat et retour en Inde.

Avant 1861 les retours sont fréquents. Mais dès 1861 et surtout après 1882 de nombreux obstacles sont dressés, et des mesures attractives sont prévues pour limiter ces retours. Ce qui laisse penser que le sentiment général est au retour.
Les engagés sont considérés comme un danger. Les propriétaires et l'administration coloniale craignent qu'ils réalisent l'absorption de la propriété et de la fortune coloniale.
En effet certains Indiens désirent exploiter, à leur compte, un lopin de terre ou un petit commerce.

Les engagés qui quittent leur travail sans retourner en Inde s'intègrent suivant deux modes :

  • les critères raciaux : Blancs, engagés nationaux (affranchis), engagés indiens. Les relations sont inexistantes entre ces 3 groupes,
  • critères de classe : exploités et exploiteurs qui entretiennent des relations de force.

La caste des Soudras (entre Brahmanes et Intouchables) est la plus représentée chez les indiens de la Réunion. Bien que certains pratiquaient deux religions, il leur est apparu que leur insertion dans la société était facilitée par leur conversion à la religion dominante.
Jusqu'en 1880 leur rite domine. À partir de 1880 et jusqu'en 1920 les deux rites sont suivis. Ensuite le catholicisme domine avec des assimilations parfois réciproques.
[Aujourd'hui certains intellectuels veulent retrouver un hindouisme plus authentique.]
La résistance à la conversion se fera jusqu'au début du 20e siècle.
Les Chinois et les Indiens musulmans arrivés en dehors du système des plantations ont toujours exprimé librement leur appartenance religieuse.
1870-1945 : après le phénomène de concentration des terres, on assiste à partir de 1919 au démantèlement des grands domaines (crise économique oblige).
À partir de 1870 était apparu le colonat (ou colonage) partiaire : parcellisation des surfaces cultivables.
Les grands propriétaires que sont la famille Kerveguen et le crédit Foncier Colonial disparaissent.
Les difficultés économiques apparues vers 1860 s'accélèrent et plongent l'île dans un marasme qui s'achève temporairement durant la Première Guerre mondiale et l'entre-deux-guerres : chute du cours du sucre, ouverture du canal de Suez et désintérêt de la troisième république pour les colonies.
Cela provoque une diversification de l'agriculture. La vanille fait son apparition malgré la concurrence de la vanille malgache et de la vanilline, ainsi que les plantes à parfum qui se cultivent dans les hauts, tels l'ylang-ylang, le géranium et le vétiver.
Mais seule la Première Guerre mondiale relancera l'économie.
La Réunion va fournir en sucre la France privée de betteraves et devenir un centre d'approvisionnements divers pour l'Angleterre et la métropole.
Mais la Deuxième Guerre mondiale va isoler l'île de nouveau, le gouverneur la plaçant sous le gouvernement de Vichy, provoque son blocus par les Anglais pendant deux ans.
La Réunion est encore au bord de la famine.
Pendant ce temps (1870-1945), des Chinois, puis des Indiens musulmans sunnites viennent de façon spontanée pour tenter leur chance dans le commerce. Ils formeront la "contre-nation". Cela concernera environ 10000 individus.
1860-1901 = Chinois (Cantonnais au nord de l'île, puis Hakkas au sud)
1914 = ceux installés font venir d'autres membres de leur famille pour tenir d'autres commerces. Ils adhèrent au catholicisme.
1870 = Indiens musulmans (Gudjerat). Ils sont venus pour développer les relations commerciales avec l'Inde et l'île Maurice et pour pratiquer une activité agricole.
Entre 1910 et 1939, leur nombre augmente grâce aux bonnes conditions économiques. Ils se mariaient en Inde ou faisaient venir des femmes qu'ils épousaient. Il n'y a aucune conversion chez les musulmans. Ils sont appelés "Z'arabes" et n'ont pas subi les mêmes pressions que les Tamouls.
1933 = des Rodriguais seront les derniers engagés recrutés.
1945 = 221000 habitants qui connaissent, en majorité, la misère. La pénurie est totale, la guerre ne les a pas épargnés. Les ethnies sont cloisonnées entre elles.
Le 19/03/1946 c'est la départementalisation sans référendum, le "tan lontan" a vécu, l'histoire commune commence à s'écrire.